Près d’un Belge sur quatre fume quotidiennement. Environ trois quarts d’entre eux ont déjà essayé d’arrêter, souvent sans succès. Comment se débarrasser de cette addiction si néfaste pour la santé? Et à partir de combien d’années les dommages causés par le tabagisme sont-ils irréversibles? Le professeur émérite et toxicologue de la KU Leuven Benoit Nemery a répondu à toutes ces questions posées par nos confrères du journal Het Laatste Nieuws.
Si personne ne fumait, un cancer sur trois serait évité. Et pour cause, le risque de cancer chez les fumeurs est nettement plus élevé, et ce pour presque tous les organes principaux du corps humain.
Les effets sur les poumons et les voies respiratoires
“Un tabagisme long et intensif finit par provoquer une dégradation des poumons”, prévient d’emblée le professeur Nemery. “Les symptômes de la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC) apparaissent généralement entre 40 et 45 ans. On s’essouffle rapidement et le moindre effort apparait comme une montagne. Le tissu pulmonaire se désintègre totalement et la plupart des patients finissent par mourir d’emphysème pulmonaire. Ils ne peuvent plus respirer et leur cœur est également atteint. La MPOC est la plus fréquente maladie pulmonaire causée par le tabagisme. Le traitement est compliqué car les dommages causés sont irréversibles. Si un traitement médicamenteux et l’utilisation d’inhalateurs peuvent aider à mieux supporter la maladie, il est toutefois impossible d’en guérir totalement.”
“Le risque de cancer du poumon est extrêmement élevé par rapport à un non-fumeur”, souligne le toxicologue de la KU Leuven. “On parle d’une multiplication par vingt, voire plus. Cela dit, on n’obtient pas ce chiffre en un jour, il est le résultat d’un tabagisme à long terme. Les symptômes du cancer du poumon apparaissent généralement lorsque la maladie est un stade avancé. Bien qu’il y ait eu des avancées ces dernières années, ce cancer reste difficile à traiter.”
“De plus, il est prouvé que le tabagisme passif augmente significativement le risque de cancer du poumon. Si votre conjoint fume et que vous ne fumez pas, vous avez quand même 30 % plus de chances d’avoir un cancer du poumon”, note Benoit Nemery.
La MPOC et le cancer du poumon sont particulièrement mortels à long terme. Ces maladies se manifestent généralement chez les fumeurs âgés de plus de 45 à 50 ans, mais les jeunes ne sont pas épargnés et sont également à risque. “Les personnes de moins de 40 ans peuvent développer d’autres maladies qui s’aggravent lorsqu’elles fument. Le traitement de l’asthme, par exemple, sera nettement plus difficile pour un jeune fumeur.
Les effets sur le cœur et les vaisseaux sanguins
La nicotine augmente le rythme cardiaque, tandis que le monoxyde de carbone contenu dans la cigarette déplace l’oxygène dans le sang. Les petites particules de tabac endommagent la paroi de la veine et accélèrent la formation de caillots sanguins. “Les fumeurs sont bien plus susceptibles d’avoir des veines congestionnées à cause de l’artériosclérose. Et cela peut provoquer une crise cardiaque”, explique le professeur Nemery.
Ainsi, les maladies cardio-vasculaires sont 70 % plus fréquentes chez les fumeurs que chez les non-fumeurs, selon la Ligue belge de cardiologie. “D’autres vaisseaux sanguins peuvent également se boucher. Par exemple, au niveau des jambes, du cou ou du cerveau. Un fumeur a trois fois plus de risques de subir un accident vasculaire cérébral (AVC) qu’un non-fumeur”, affirme Benoit Nemery.
Les effets sur d’autres organes
“Le risque de développer d’autres cancers, comme celui de la vessie, des reins, du cou, du nez, de l’œsophage, du foie, de l’estomac, du pancréas ou encore certaines formes de leucémies, augmente également avec le tabagisme. En outre, les femmes qui fument sont plus susceptibles d’avoir un cancer du sein, de l’utérus et du col de l’utérus.”
Fumer peut également faire perdre la vue. “C'est particulièrement dangereux si le patient est diabétique, mais même sans diabète, les fumeurs sont plus exposés au risque de dégénérescence maculaire liée à l’âge. Il s’agit d’une maladie oculaire qui entraîne une perte dans la partie centrale du champ de vision.”
La dégénérescence maculaire dépend à 50 % des gènes. Le tabagisme y contribue quant à lui à hauteur de 29 %, ce qui signifie qu’une combinaison des deux augmente de 30 fois le risque de perdre la vue.
Quand les dommages causés aux poumons deviennent-ils irréversibles ? Combien de temps faut-il avoir fumé ?
“Plus vous fumez et plus longtemps vous fumez, plus les risques de conséquences médicales sont élevés. Il n’est jamais trop tard pour arrêter de fumer. Si vous arrêtez de fumer à l’âge de 30 ans, vous subissez des dommages depuis dix ou douze ans que vous fumez, mais votre risque diminue considérablement et, en quinze ans, vous atteindrez presque le niveau d’un non-fumeur, surtout en ce qui concerne le cancer. Si vous arrêtez de fumer à l’âge de 40 ans, il y aura également une réduction significative du risque”.
“Même si vous êtes déjà malade, il n’est jamais trop tard pour arrêter”, insiste Benoit Nemery. “Bien sûr, les lésions pulmonaires ne pourront être réparées, mais elles ne s’aggraveront pas. Si vous avez déjà un cancer, le traitement sera plus efficace si vous arrêtez de fumer”, pointe le spécialiste.
Les chiffres ne mentent pas: si vous fumez toute votre vie, vous avez 50 % de chances de mourir prématurément (en moyenne dix ans plus tôt) d’un trouble causé par le tabac. Pourtant, on entend encore souvent l’excuse du grand-père de 90 ans en bonne santé après avoir fumé durant dans sa vie.
Une excuse qui ne tient pourtant pas la route, coupe le toxicologue. “Tous les fumeurs ne souffrent pas des mêmes maladies, et certains s’en sortent en effet relativement bien malgré le tabac. Ils ne se plaignent que plus tard dans leur vie. Il existe bien sûr des exceptions, comme ce grand-père que vous mentionnez. Mais ces personnes ne sont pas toujours en bonne santé. Souvent, ces elles ne sont plus capables de produire un réel effort. Elles ont l’air en bonne santé et affirment l’être, mais en réalité, leurs poumons et/ou leur cœur sont atteints.
Quid des cigarettes “light” ?
Les cigarettes light ont été créées par l’industrie tabac comme une alternative “plus saine” à la cigarette normale, mais ce n'est qu’un leurre. Les gens ne changent pas leurs habitudes tabagiques. Même lorsqu’ils fument légèrement, ils fument presque autant pour obtenir leur dose de nicotine. Elle reste donc tout aussi néfaste. En ce qui concerne les effets néfastes pour la santé, il n’existe aucune différence entre les cigarettes à filtre, les cigarettes à rouler, les cigares, la pipe ou encore le bong. Les effets nocifs et cancérigènes proviennent de la combustion du tabac. En fumant, vous ingérez une importante quantité de particules en suspension. Que vous fumiez activement ou passivement, d’ailleurs.
Que pensez-vous de la cigarette électronique ?
“La cigarette électronique produit de la vapeur et non de la fumée, il n’y a pas de combustion. Elle est donc moins nocive qu’une vraie cigarette, mais cela ne veut pas dire qu’elle est saine et sans danger pour autant. Par exemple, elle peut inciter les jeunes qui n’ont jamais fumé de vraies cigarettes à s’y mettre. Si nous étions certains que seuls les fumeurs qui souhaitent arrêter vapotaient, il n’y aurait pas de problème. Or, nous savons bien que ce n’est pas le cas. De plus, nous ne sommes pas sûrs qu’elle soit vraiment efficace pour arrêter de fumer, du moins pas à grande échelle. Certaines personnes continuent à fumer tout en vapotant, et d’autres commencent les deux en même temps et c’est un désastre.”
Près d’un Belge sur quatre fume chaque jour, 71 % ont déjà essayé d’arrêter. Comment se débarrasser de cette addiction ?
“Arrêter de fumer est une épreuve difficile car la nicotine est tout simplement une drogue dure. On y devient très vite dépendant, une seule cigarette peut suffire. L’industrie du tabac a évidemment tout intérêt à ce que les gens continuent à fumer. Par ailleurs, il faut ajouter que la nicotine est une drogue dure légale et plus socialement acceptée que la cocaïne, par exemple. Arrêter de fumer est d’autant plus difficile puisque vous êtes souvent confronté à la cigarette dans votre vie quotidienne.”
Est-il préférable d’arrêter de fumer brutalement ou au contraire, faut-il le faire de manière progressive ?
“Il n’y a pas une seule règle, car tout le monde ne fume pas pour la même raison. Est-ce par ennui, par stress, parce que vous devez tenir absolument quelque chose entre les mains, ou par pure addiction? La plupart des gens n’en sont même pas conscients. C’est pourquoi il peut être recommandé de consulter un tabacologue, qui déterminera le type de fumeur que vous êtes. Toutefois, si possible, un arrêt brutal semble être le moyen le plus efficace pour y parvenir. “Diminuer progressivement le nombre de cigarettes n’est pas aussi efficace, car les gens se mentent souvent à eux-mêmes. Ils disent fumer “seulement” dix cigarettes, mais ce nombre s’avère en réalité nettement plus élevé.
Le besoin de nicotine se fait surtout ressentir lors de la première semaine avant de diminuer progressivement. Cependant, les effets psychologiques peuvent durer beaucoup plus longtemps. “Même les gens qui n’ont pas fumé depuis 30 ans disent qu’ils ont toujours envie d’une cigarette”, conclut Benoit Nemery.
MK Source: Het Laatste Nieuws