Des lecteurs ont attiré notre attention sur le fait que les pharmacies s’attaqueraient de façon virulente à la vape. Il s’agirait d’une opération massive de relais de la campagne de l’OMS mettant en scène des enfants. Si certains appellent à l’action, la réalité est plus complexe.
Nous vous avions déjà fait état de la campagne scandaleuse de l’OMS à l’occasion de la journée mondiale sans tabac qui a eu lieu le 31 mai dernier. Et qui a fait un flop assez colossal : si, dans les milieux activistes (antitabac, provape, antivape etc.) des actions ont été mises en place, le grand public, fumeurs inclus, sont, pour la plupart, complètement passé à côté de l’information.
Mais certains ne sont pas restés les bras croisés : d’après des lecteurs, des pharmaciens afficheraient dans leur officine et relaieraient sur leur site web et leur page Facebook la campagne de l’OMS.
Par curiosité, nous avons donc posé la question à des professionnels. Deux visites, dans des pharmacies proches (situées dans le Finistère), et trois coups de fil, deux à des pharmacies prises au hasard (dans d’autres régions françaises) et un à une pharmacie qui avait relayé la campagne sur sa page Facebook (et l’a retirée depuis, dont nous préserverons l’anonymat). Bilan : à part celle dont nous savions qu’elle avait participé, aucune des quatre autres n’a relayé la moindre affiche de l’OMS.
Les pharmaciens s’expriment
Les explications données par les pharmaciens qui n’ont pas participé sont diverses, mais cohérentes.
Un premier nous a expliqué que « Notre page Facebook est très peu suivie, faute de temps pour s’en occuper. Quant à l’affichage dans l’officine proprement dite, on le réserve pour des informations pérennes ou pour des choses que l’on juge prioritaires. Par exemple, là, tous nos espaces d’affichage sont occupés par des affiches sur le Covid-19 ».
Effectivement, dans les deux pharmacies visitées, des affichettes font florès sur le lavage des mains, le port du masque… Des affiches d’ailleurs assez peu nombreuses « Il y a quelques publicités pour des produits paramédicaux, et de l’information. Trop d’information noierait le message pour des clients déjà trop sollicités par la publicité au quotidien. Nous avons des informations à faire passer, certaines sont importantes, donc l’idée est de dire moins de choses, amis de dire mieux les choses importantes » nous explique Sandra, une préparatrice qui a pris du temps pour nous faire visiter.
Et ces relais nombreux constatés ? « Certains de nos confrères sont des militants anti-vape » estiment les pharmaciens interrogés, dont deux concèdent « et il y en a qui sont un peu ronchons parce que l’Ordre ne voit pas d’un bon œil la vente de vape en officine » (l’Ordre National des Pharmaciens a rappelé que le Code de la santé n’a pas inscrit la e-cigarette dans la liste des produits dont la vente est autorisée en pharmacie, et que les pharmaciens qui en proposent sont donc dans l’illégalité).
Mais tous l’affirment avec force : « Ce sont des positions individuelles qui n’engagent qu’eux. Il y a un bon nombre de pharmaciens qui sont favorables au vapotage et bien contents que des spécialistes s’en occupent dans des boutiques dédiées ».
Mais un pharmacien nous lâche : « il peut s’agir d’une opération de communication. On en reçoit tout le temps ».
En tout cas, tous les quatre (tous les cinq, même, nous y reviendrons) l’affirment : « La vente de substituts et de méthodes d’arrêt pharmaceutiques va très bien, merci, ce n’est qu’un aspect de notre métier, les boutiques de vape ne sont absolument pas des concurrents qui nous font de l’ombre ». Aucun ne se déclare opposé au vapotage.
Le docteur et l’OMS
Chez le pharmacien qui a partagé la campagne de l’OMS, l’explication est simple « Je partage tout ce que je reçois de l’OMS sur ma page Facebook. C’est vrai que, souvent, c’est sur le tabac, mais pas que, là par exemple, j’ai relayé toutes leurs positions officielles sur le Covid-19 ». Vérification faite, c’est vrai : publications de l’OMS, du Ministère de la santé, de diverses institutions, la pharmacie partage les publications qui lui semblent pertinentes ou à l’occasion de journées spéciales, comme la journée sans tabac.
Pas de militantisme anti-vape, donc ? « Je suis un scientifique, j’écoute les instances scientifiques. Et par les temps qui courent, remettre en cause les institutions de santé publique… Je ne dis pas que toutes sont irréprochables, je pense juste que ce n’est pas le moment ».
Il a retiré rapidement la campagne de sa page « j’ai eu des commentaires l’attaquant avec virulence. Si certains étaient argumentés, d’autres en revanche étaient un peu moins polis. Dès que j’ai vu ça, j’ai tout retiré, ma page Facebook est un espace d’information pas de polémique. Même si il y a de moins en moins de choses qu’on peut publier sans se faire attaquer, aujourd’hui ».
Conclusion : les pharmaciens contre la vape ?
La diffusion de la campagne de l’OMS sur les pages Facebook de certaines pharmacies est une réalité. Mais l’ampleur de ce phénomène est beaucoup moins grand que ce qu’on a pu lire ici et là sur les réseaux sociaux.
Il peut s’agir d’une campagne organisée, personne, parmi ceux que nous avons interrogés, n’a pu (ou voulu) nous répondre. Dans ce cas, il s’agirait d’une campagne ponctuelle, ciblée, mais pas d’un raz-de-marée.
Il s’agirait alors d’exemples isolés, réels mais pas représentatifs, de pharmacies entrées en guerre ouverte contre la vape, ou qui voient l’opportunité d’une campagne ponctuelle pour afficher leur hostilité.
La communauté de la vape peut-elle réagir ? Elle l’a déjà fait efficacement, par bien des aspects : de nombreux vapoteurs se sont rendus sur les réseaux sociaux pour dénoncer ces publications comme étant propagatrices de « fake news ».
D’autres demandent une action judiciaire contre l’éditeur français de ces publications. Même si l’on peut comprendre cette colère, ce serait vain : l’éditeur publie des informations de l’OMS qui, en tant qu’instance internationale annexe de l’ONU, dépend de ses propres règles. L’éditeur français ne fait que relayer des informations de l’OMS qui, de par leur provenance, ne peuvent être considérées comme « fake news » par un juge français, qui se déclarera sans doute incompétent. Reste donc à faire un procès à l’OMS. Ce qui revient globalement à charger un moulin à vent sur Rossinante…